Nautas Argo

La blague était toujours la même. Chaque coordonnée évoquait quelque chose, et quand celle-ci n’évoquait rien… On inventait une évocation. Ceci permettait de donner un thème à chaque départ. Il était relativement rare que les officiers y participent, mais il était encore plus rare que les officiers ne s’y opposent. Ainsi Lorenzo évoquait l’Italie, et se furent en chantant des chants militaires à sonorités latine que certaines troupes arrivèrent. Dans la même philosophie, les bataillons perçurent le nom de leur section dans les dortoirs, chacun des quartiers avait un nom de compositeur, chacun des districts le nom d’une ville d’Italie. Certains remarquèrent peut être que l’un des districts de nommait Nice, mais probablement aucun ne savait que Nice n’était pas en Italie… Et encore moins pour savoir qu’un certain Garibaldi, avait demandé à être enterré face à cette ville. Pas même le commandant éponyme d’ailleurs. Il est un certain humour qui ne doit sa grandeur qu’à l’incapacité du commun de l’appréhender, de le comprendre et de le mépriser. Certains l’appellent snobisme, d’autre volupté. La vérité se cache probablement ailleurs.




Athènes, à son habitude, avait passé la nuit à bord de son navire, avant le départ. Ecrivant diverses lettres à sa famille, quelques bilans qu’elle savait devoir remplir… Et puis, cette tâche que même le plus expérimenté des soldats ne peut exécuter, sans s’asseoir et regarder dans le vague, au dessus de cette immaculée feuille. Elle avait rempli son testament, comme avant chaque départ de mission classée spéciale . Elle avait ce petit sourire pincé, elle laisserait si peu, dans le cas où au combat elle devait devenir l’une des bien trop nombreuses étoiles de la flotte. Enfin, c’était comme ça, et elle eut tôt fait de plier ce papier, et de le rentrer dans la console qui était faite pour. Elle enverrait la copie dans quelques heures au centre des archives de Luderitz. Il n’y avait pas de notaire à bord, et même s’il y en avait eu un, une décompression perdrait probablement aussi ces documents officiels, donc le support informatique s’imposait. Bref.
La jeune femme revêtit son uniforme d’apparat, elle savait que c’était relativement peu courant, mais elle tenait à donner autant que faire cette impression de solennité à ce départ. Ce fut cependant avec une pointe de fierté qu’elle put lire, en lettre d’or sur sa manche [UFTS Jouer le Jeu]. Tentant d’entendre ses pas raisonner dans l’acier, sur les parois de ces couloirs interminable qui faisaient la renommée des Energya, elle arriva enfin à la baie d’observation principale, et sans hésiter une seconde s’orienta vers le commodore Leopoldo Viremi.

Elle savait déjà ce que lui dirait cet homme, les quelques conseils d’usage… Et surtout… De faire confiance à ce qu’elle avait appris. De faire confiance à la personne qui vivait dans ce corps qu’elle connaissait parfaitement, qu’était le sien, bref. Croyez en vous mademoiselle. Cependant… Cependant il lui tardait tant de recevoir le feu vert de « control » et de pouvoir lancer les moteurs, sentir les vibrations se propager dans toute la structure. Enfin, on y serait !

Désormais, tout était en place, le vaisseau plus ou moins libre d’amarre, il ne restait donc plus qu’à lancer un ordre, attendu et déjà partiellement effectué. Avec une légère délectation, en regardant les simulations qui tentaient de faire apparaître l’image en 3D d’un vaisseau qui quittait le quai, Athènes regarda l’efficience de son ordre.

– Larguez les amarres! Et en avant à vitesse modérée, sortez nous de la nasse et direction espace libre puis croisière jusqu’au point de rendez-vous fixé.


Plus de maître de mâts sur les vaisseaux d’aujourd’hui, quelques ordres et la manœuvre était parfaitement exécutée, sur des dizaines de milliers de kilomètres. Un plaisir reposant. Reposant car avec cette diminution des distractions maritimes, étaient nés tout un flot de rôle pour le commandant de bord, à commencer par la vérification logistique. On savait maintenant tout ce qui était à bord et tout ce qui ne l’était pas, et il fallait définir les priorités. Quelle fastidieuse tâche. On notait souvent avec amusement qu’on aurait pu le faire à quai, mais que la tradition de la marine l’interdisait. La légende expliquait que certains commandants, excédés, avaient fait larguer sur le quai certaines marchandises dont l’intérêt les dépassait. C’était assez peu crédible, mais répété à l’envie par tous les matelots du bord, qui bien leurs de leurs cordages officiaient maintenant sur des consoles intelligentes, donnaient des ordres à des armées de robot. La fatigue n’était plus désormais qu’un loisir. Un loisir des plus prisé d’ailleurs.



– De votre commandant à tout l’équipage. Le Jouer le Jeu a été inscrit pour la compétition interarmée multisport du Pacte de Jadis. De fait, nous comptons sur vous pour qu’il soit bien classé. L’an dernier, ce sont les Marins Jadéens qui l’ont emportés, nous leurs devons une revanche. Vous connaissez le règlement, les vaisseaux inscrits s’ont opposés aux équipages d’autres vaisseaux, étrangers ou non. Ils ont quelques mois pour effectuer les matchs réclamés. Bref, si nous ne comptons pas l’emporter, nous laissons ça aux Ienissei, vous avez l’ordre de bien figurer.
Seront mises à votre disposition toutes les salles de sport du vaisseau pour la pratique des divers sports licenciés dans cette catégorie, que je ne vous ferais pas l’injure de citer. Mesdames et Messieurs, bonne chance.

Lancée à la base par l’Armée de Terre Vandsienne quelques années auparavant, probablement pour prouver sa supériorité dans les sports de combat qui étaient les seuls autorisés alors, l’épreuve s’était collectivisée, mais peinait relativement à décoller, du fait que les équipages des vaisseaux étaient rarement disponibles. De ce postulat, on lança un programme pour équiper ces villes spatiales d’équipements adéquats à la pratique du sport, on comptait bien sur des compétitions internes, qui égaieraient un peu les voyages au – trop – long cours.

Finalement, ce fut comme soulagée qu’Athènes rejoignit son bureau, dans lequel se tenait aussi sa chambre. Le départ s’était bien passé, et aucun des prévisibles imprévus n’étaient arrivés. Alors elle regarda la carte spatiale, et ferma les yeux quelques secondes. Elle attendait avec impatience que les choses commencent.